Les pensées d’une nouvelle année, et un regroupement des anciennes.

 Jeudi 31 décembre 2020

Posté par Neil Gaiman à 23h32.

 

C’est déjà 2021 à certains endroits, glissant lentement autour de la planète. Bientôt, cela aura atteint Hawaii et ce sera 2021 partout, et 2020 sera terminée.

Eh bien, quelle année. Enfin, une année, en quelque sorte.

Quand ma cousine Helen et ses deux sœurs ont rejoint un camp de réfugiés à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ayant survécu à l’Holocaust de justesse par chance et courage, elles n’avaient pas de papiers. Les gens qui leur en ont donnés ont suggéré qu’elles retirent cinq ans à leur âge réel, car les nazis leur avaient volé cinq ans, et que c’était leur seule chance de les récupérer. Elles n’ont pas compté les années de guerre comme faisant partie de leur vie.

Je pourrais presque faire ça avec 2020. Ne pas compter la compter comme une année de ma vie. Mais je m’en voudrais de jeter la magie avec l’eau du bain. Il y a eu de bonnes choses, des choses incroyables, côtoyant des choses horribles.

Les moments les plus difficiles, avec le recul, ont été les décès, des amis ou des membres de la famille, juste parce qu’ils sont arrivés. On m’en parlait, par SMS ou par téléphone, puis ils faisaient partie du passé. Les funérailles pour lesquelles j’aurais fait de longs trajets n’ont pas eu lieu et personne n’est allé nulle part. Les aurevoirs, le soutien mutuel, les embrassades, les larmes et les histoires à propos des défunts, rien de tout cela n’a eu lieu.

Les meilleurs moments ont été des moments d’amitié, la plupart venant de très loin, et une gratitude grandissante pour la terre, le ciel, l’espace et le temps. En février 2020, je regrettais de savoir où j’allais être et ce que j’allais faire tous les jours pour les trois années à venir. Mais j’ai été forcé d’adhérer au chaos et à l’imprévisibilité, tout en apprenant en même temps à apprécier la lente transition des jours qui se produit lorsque l’on reste au même endroit alors que les saisons changent. J’observais un coucher de soleil différent chaque soir. Je n’avais pas réussi à rester au même endroit, ou même dans le même pays pendant neuf mois depuis…eh bien probablement depuis 2000 quand j’écrivais American Gods. Mais là, j’étais assurément, à un seul endroit.

J’ai eu des discussions avec des gens que je chéris. Certaines étaient sur Zoom et ont été enregistrées. Voici les deux conversations qui, je pense, m’ont appris le plus. Je les mets ici car elles pourront peut-être vous apprendre quelque chose ou vous réconforter. La première est une conversation avec Carlo Rovelli,physicien nucléaire et auteur, animée par Erica Wagner, qui traite d’art et de science, de littérature, de vie et de mort :

 


La deuxième a été organisée par l’Université du Kent. Elle s’intitule Contemporary Portraiture and the Medieval Imagination: An Artist in Conversation with Her Sitters (Portrait contemporain et l’imagination médiévale : une artiste en conversation avec ses modèles) et c’est à propos d’art, je crois, mais c’est une conversation entre l’ancien archevêque de Canterbury Rowan Williams, l’artiste Lorna May Wadsworth et moi, animée par Dr Emily Guerry, qui part dans tous les sens. Je crois que c’est une discussion à propos de portraits, mais j’ai l’impression que cela traite de beaucoup de choses en chemin.

 


Chacune des conversations dure environ une heure, et, comme je l’ai déjà dit, j’en retire énormément de choses.

A la fin du mois d’avril, sur l’île de Skye, j’avais commandé un télescope. Puis j’ai découvert que le « crépuscule astronomique » (quand il fait suffisamment sombre pour voir les étoiles) n’était pas prévu avant la fin juillet. Le soleil ne se couchait pas avant 22h ou 22h30. Et même lorsque le soleil était couché, il ne faisait pas sombre. Il fallait attendre fin aout avant que je puisse voir un ciel remplir d’étoile.

Ma fille Maddy est venue vivre avec moi en novembre, et elle était amusée par ma réaction aux choses qui me fascinaient désormais : les pierres, surtout celles que des gens avaient déplacées des centaines ou des milliers d’années auparavant, le ciel et les nuages, et enfin, les longues et froides nuits d’hiver de Skye, j’avais les étoiles que j’avais manquées durant l’été. Il n’y a pas d’éclairage public là où je vis, pas à des kilomètres à la ronde. La nuit peut être aussi sombre en hiver qu’elle était claire en été. Et puis, quand on lève les yeux…

 


(Toutes ces photos ont été prises sur un Pixel 5 en mode Astrophotographie. Il savait ce qu’il faisait.)

Je ne voudrais pas rendre les étoiles, les couchers de soleil ou les pierres pour ne pas compter 2020 comme une vraie année. Je ne voudrais pas rendre les décès non plus : chaque vie était précieuse, et chaque ami ou membre de la famille perdu nous affaiblit. Mais chaque décès m’a fait me rendre compte de combien j’apprécie les gens, de comment nos vies sont interconnectées. Chacun des décès m’a amené au deuil, et je savais que j’étais accompagné dans mon deuil par tant d’autres êtres humains, des gens que je connaissais et d’autres non, qui avaient perdu quelqu’un à qui ils tenaient.

J’échangerais bien la marche dans l’obscurité, mais il n’y a personne en 2020 qui n’ait pas été blessé par un moment de cette année. Nos histoires sont uniques, mais personne n’est unique dans sa misère ou sa douleur.

S’il y a une leçon que je retire de 2020, c’est que toutes ces choses : la civilisation, les gens, le monde, sont encore plus fragiles que je ne l’avais imaginé. Et que chacun d’entre nous s’en sortira en faisant partie de quelque chose de plus grand que lui-même. Nous faisons partie de l’humanité. Nous sommes là depuis quelques millions d’années, notre espèce est là depuis au moins deux cent mille ans. Nous sommes très intelligents et capables de nous sortir du pétrin. Et nous manquons aussi de considération et sommes capables de nous retrouver dans le pétrin sans pouvoir en sortir. Nous pouvons extraire des motifs récurrents d’images complexes, et imaginer des motifs là où il n’y a que hasard.

J’ai regroupé ici tous les messages de Nouvel An que j’ai écrit sur ce site :

Celui-ci est de 2014 :

Il y a quinze ans, j’ai écrit :

Que l’année à venir soit pleine de magie, de rêve et de folie positive. J’espère que vous lirez de bons livres et embrasserez quelqu’un qui pense que vous êtes merveilleux, et n’oubliez pas de créer de l’art : écrivez ou dessinez ou construisez ou chantez ou vivez de la façon dont seuls vous le pouvez. J’espère, qu’à un moment l’an prochain, vous vous surprendrez.

Et il y a presque dix ans j’ai dit,

…J’espère que vous passerez une merveilleuse année, que vous rêverez dangereusement et scandaleusement, que vous créerez quelque chose qui n’existait pas avant, que vous serez aimé et apprécié, et que vous aurez des personnes à aimer et apprécier en retour. Et surtout (parce que je pense qu’il devrait y avoir plus de gentillesse et de sagesse dans le monde en ce moment) que vous serez, quand cela sera nécessaire, sage, et que vous serez toujours gentil.

Il y a cinq ans j’ai écrit :

Et pour cette année, mon vœu pour chacun de nous est petit et très simple.

Et c’est ça.

J’espère que dans l’année à venir vous ferez des erreurs.

Parce que si vous faites des erreurs, alors vous faites de nouvelles choses, vous essayez de nouvelles choses, vous apprenez, vous vivez, vous vous dépassez, vous vous changez, vous changez votre monde. Vous faites des choses que vous n’aviez jamais faites auparavant, et surtout, vous faites quelque chose.

Donc voilà mon vœu pour vous, et pour nous tous, et mon vœu pour moi. Faire de nouvelles erreurs. Faire des erreurs glorieuses et incroyables. Faire des erreurs que personne n’a jamais faites. Ne restez pas figés, ne vous arrêtez pas, ne vous inquiétez pas du fait que ce n’est pas suffisant, ou pas parfait, peu importe ce que c’est : art, amour, travail, famille ou vie.

Peu importe ce que vous avez peur de faire, faites-le.

Faites vos erreurs, l’année prochaine et pour toujours.

Et ici, datant de 2012, les derniers vœux que j’ai postés, terrifié, mais en essayant d’être courageux, dans les coulisses à un concert :

C’est une nouvelle année et avec elle vient une nouvelle opportunité de changer notre monde.

Donc voici mon vœu, un vœu pour moi autant que pour vous : dans le monde à venir, soyons courageux, marchons dans l’obscurité sans peur, et vers l’inconnu avec un sourire sur notre visage, même s’il est forcé.

Et quoi qu’il nous arrive, quoi que nous fassions, quoi que nous apprenions, retirons-en de la joie. Nous pouvons trouver de la joie dans le monde si nous en cherchons, nous pouvons en retirer de l’acte de création.

Donc voici mon vœu pour vous, et pour moi : du courage et de la joie.

De 2018 :

Soyez gentils avec vous-mêmes dans l’année à venir.

Rappelez-vous de vous pardonner, et de pardonner les autres. C’est trop facile de s’énerver ces jours-ci, beaucoup plus difficile de changer les choses, de prendre contact, de comprendre.

Essayez de rentabiliser votre temps : les minutes, les heures, les jours et les semaines peuvent s’envoler comme des feuilles mortes, ne laissant rien à voir que le temps que vous avez passé à faire des choses à moitié, ou le temps que vous avez passé à attendre de commencer.

Rencontrez de nouvelles personnes et parlez-leur. Faites de nouvelles choses et montrez-les aux gens qui pourraient les apprécier.

Serrer trop les gens dans vos bras. Souriez trop. Et, quand vous le pouvez, aimez.

L’année dernière, seul et malade pour le Nouvel An à Melbourne, j’ai écrit :

J’espère que dans l’année à venir, vous ne brulerez pas. Et j’espère que vous ne gèlerez pas. J’espère que vous et votre famille serez en sécurité et circulerez librement dans le monde, et que l’endroit où vous vivez, si vous en avez un, sera là à votre retour. J’espère que, pour nous tous, dans l’année à venir, la gentillesse dominera et que la douceur, l’humanité et le pardon seront là pour nous si nous en avons besoin, ou quand nous en aurons besoin.

Et que votre nouvelle année soit heureuse, et que vous soyez heureux durant celle-ci.

J’espère que vous ferez quelque chose dans l’année que vous avez toujours rêvé de faire sans savoir si vous le pouviez ou non. Mais je suis sûr que vous le pouvez. Et je suis sûr que vous le ferez.

 ...

 


Pour cette année… J’espère que nous pourrons tous circuler librement dans le monde à nouveau. Pour voir nos êtres chers, et les serrer dans nos bras encore une fois.

J’espère que l’année à venir sera tendre avec nous, et que nous serons tendres les uns avec les autres, même si l’année ne l’est pas.

Des petits actes de générosité, de parole, de contact, peuvent avoir plus d’importance pour les destinataires que les personnes qui en sont à l’origine ne le sauront jamais. Faites ce que vous pouvez. Recevez la gentillesse des autres avec grâce.

Tenez bon. Accrochez-vous, même si c’est de justesse. Créez de l’art (ou quoi que ce soit d’autre) si vous le pouvez. Mais si tout ce que vous parvenez à faire est sortir du lit le matin, eh bien faites ça et soyez fiers de ce que vous avez accompli, et pas frustrés de ce que vous n’avez pas fait.

Rappelez-vous, vous n’êtes pas seuls, peu importe combien vous en avez l’impression parfois.

Et n’oubliez jamais que, parfois, c’est seulement quand tout devient très sombre qu’on peut voir les étoiles.

 

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